Expositions humaines à la chlordécone

La présence de chlordécone dans l’environnement, et sa persistance malgré son interdiction depuis 1993, posent la question de l’exposition des populations via la consommation de denrées alimentaires et les risques associés.

Quelle est l’exposition et l’imprégnation des populations ?

La mesure de la concentration dans le sang est un moyen d’évaluer l’exposition à la chlordécone des populations antillaises. Les résultats, provenant de plusieurs milliers de personnes au cours de ces 15 dernières années, obtenus par l’Inserm et par Santé Publique France (étude Kannari 1, étude de l’imprégnation de la population antillaise par la chlordécone et certains composés organochlorés en 2013-2014) ont montré la présence de la chlordécone dans le sang à des taux de détection atteignant les 90%, chez les populations et sous-populations étudiées (adultes, femmes enceintes, nouveau-nés, jeunes enfants) et à des concentrations d’un ordre de grandeur du microgramme par litre de sang (μg/L). La chlordécone peut également être retrouvée en faible concentration dans le lait maternel. Cette présence n’est pas de nature à déconseiller la pratique de l’allaitement maternel compte tenu de ces bénéfices [2].

Les données d’imprégnation de l’étude Kannari 1 (2013-2014) indiquent que 14% des adultes en Guadeloupe et 25% des adultes en Martinique dépassent la valeur toxicologique de référence (VTR) chronique interne de 0,4 µg/L de plasma [3]. Pour cette partie de la population, le risque sanitaire ne peut pas être écarté et les mesures prises pour diminuer l’exposition à la chlordécone doivent être renforcées.

Un modèle de distribution tissulaire (ou pharmacocinétique à base physiologique, PBPK) a été développé dans le cadre de l’étude PK CHLOR Antilles [5]. Ce modèle permet de simuler les concentrations sanguines de la chlordécone, leur évolution dans le temps et d'estimer la dose externe correspondante en utilisant l'approche de dosimétrie inverse. Le modèle PBPK permettra, entre autres, d'améliorer les évaluations quantitatives du risque sanitaire et de réévaluer si besoin les valeurs toxicologiques de référence pour mieux protéger les populations.

Etudes en cours

Évolution de l’imprégnation à la chlordécone de la population générale et de sous-groupes spécifiques – Kannari II

Près de 10 ans après la mise en œuvre de l’étude Kannari 1 (2013-2014), la réédition de la mesure de l’imprégnation sanguine de la population antillaise par la chlordécone et d’autres polluants environnementaux, va être lancée par le biais d’une nouvelle étude Kannari. Cette étude permettra de suivre l’évolution du niveau d’imprégnation des populations adultes martiniquaise et guadeloupéenne par la chlordécone et par d’autres polluants d’intérêt. Il s’agira également de réévaluer le pourcentage de la population présentant une chlordéconémie supérieure à la VTR chronique interne de 0,4 µg/L de plasma, et d’établir en population générale, des profils de risque de dépassement de cette valeur de référence de 0,4 µg/L de plasma. Enfin, cette étude permettra de caractériser plus finement le niveau d’imprégnation et les déterminants de l’exposition des sous-groupes de population sensibles (femmes en âge de procréer, enfants) ou à risque d’exposition possiblement plus élevée du fait de leurs métiers ou lieux de résidence (travailleurs agricoles, pêcheurs, personnes résidant en zone contaminée). La phase de terrain de cette étude Kannari 2 est programmée fin 2023.

Etudier de façon la plus réaliste possible l’exposition par voie alimentaire : l’étude ChlorExpo

Afin de préciser les expositions par voie alimentaire, construites précédemment [4] et mises à jour récemment [3] sur la base de contamination des aliments ne tenant pas compte des modes de préparation et de cuisson, une nouvelle étude d’exposition alimentaire basée sur les principes des études de l’alimentation totale a été lancée par l’Anses en 2021. Elle prend notamment en compte les habitudes d’approvisionnement, de préparation et de cuisson des aliments et vise à la formulation de recommandations pratiques pour poursuivre la diminution de l’exposition à la chlordécone.

Quelles sont les recommandations les plus récentes en termes de consommation alimentaire ?

En 2017, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) a émis un rapport et un avis relatif l’évaluation des risques pour la population antillaise suite à la réalisation de l’étude Kannari « Santé, nutrition et exposition à la chlordécone aux Antilles » (2013-2014) piloté par Santé publique France (SpF) [4].

En février 2021, l’Anses a défini une nouvelle Valeur Toxicologique de Référence (VTR) chronique externe de 0,17 μg / kg de poids corporel soit trois fois plus faible que la précédente. Cette diminution de la VTR est principalement liée à la prise en considération d’une étude récente chez la souris montrant des effets reprotoxiques.

Suite à l’établissement de ce nouveau repère toxicologique, l’Anses a réévalué les risques liés à l’exposition alimentaire à la chlordécone, en 2022 [3].

Cet avis de novembre 2022 confirme une exposition toujours trop élevée par rapport à la VTR externe, notamment chez les personnes résidant en zone réputée contaminée. Les profils de consommation conduisant à des dépassements de la VTR ont été analysés, dans l’optique d’identifier les aliments les plus contributeurs à l’exposition, à savoir certains aliments provenant de l’autoconsommation et des circuits informels (principalement produits de la pêche en mer, en rivière et les œufs). L’expertise conforte l’efficacité des recommandations de réduction des expositions émises en 2007 [1]. En effet, dans son avis de novembre 2022, l’Anses confirme que le non-respect de l’ensemble des recommandations de limitation de la consommation de ces aliments entraîne un risque plus important de dépassement de la VTR. Au contraire, le respect de ces trois recommandations permettrait de réduire significativement les risques de dépassement de la VTR.

Ces recommandations sont actuellement de :

  • Limiter à 4 fois par semaine la consommation de produits de la pêche en provenance du circuit court (pêche de loisir, de subsistance ou achat sur le bord des routes).
  • Limiter à 2 fois par semaine la consommation de patates douces, ignames et dachines issus des jardins familiaux en zone contaminée.
  • Ne pas consommer de produits d’eau douce issus des zones d’interdiction de pêche définies par arrêté préfectoral.

Par ailleurs, les œufs issus de l’autoproduction ou des dons expliquent une part très importante des expositions chez les enfants et les adultes. A cet égard, l’Anses recommande de conditionner la consommation d’œufs autoproduits à la vérification systématique d'une qualité de sol et d'une pratique d'élevage compatible avec cette consommation.

Une expertise complémentaire (courant 2024) étudiera, à la lumière des résultats de l’étude ChlorExpo, si d’autres leviers sont possibles pour diminuer suffisamment les niveaux d’exposition de la population en Guadeloupe et en Martinique.

Références :
[1]        Afssa 2007. Actualisation de l’exposition alimentaire au chlordécone de la population antillaise - Evaluation de l’impact des mesures de maîtrise des risques. Document technique AQR/FH/2007-219
[2]        Afssa 2008. Avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments relatif à la nécessité d’établir des recommandations particulières sur l’allaitement maternel au vu des bénéfices et des risques d’exposition au chlordécone pour les nourrissons martiniquais et guadeloupéens. Technical Report #Afssa Saisine n° 2007-SA-0350.
[3]        Anses 2022. Avis Anses relatif à la réévaluation des risques sanitaires prenant en compte la construction et la mise à jour de valeurs sanitaires de référence (externe et interne) du chlordécone.
[4]        Anses 2017. Exposition des consommateurs des Antilles au chlordécone, résultats de l’étude Kannari.
[5]        Emond, C. and Multigner, L. 2022. Chlordecone: development of a physiologically based pharmacokinetic tool to support human health risks assessments. Archives of Toxicology. (Feb. 2022).